Pourtant Jon.W se développa comme un bébé doit se développer et devint même un bébé magnifique. Les traits s’affinèrent, une petite touffe de cheveux lui blondit le crâne, les yeux s’ouvrirent de façon coordonnée et la bouche osa esquisser d’autres mimiques qu’un immuable sourire.
Un jour, alors qu’il commençait à peine à marcher, Jon.W vit deux êtres gigantesques l’empoigner, de chaque côté de son petit corps frêle, et le soulever un peu rudement. Ils se présentèrent comme étant ses parents privilégiés, désormais en charge de son éducation. Ils lui expliquèrent qu’ils conserveraient indéfiniment leurs prérogatives de parents privilégiés, à moins qu’il ne manifestât le désir d’en changer. A quoi il ne répondit rien. D’abord parce qu’il ne comprit rien et ensuite parce que, comme tous les enfants en bas âge, il n’avait pas la parole.
Jon.W eut une éducation sommaire. Il faut dire qu’en ces temps reculés, le Webworld était un territoire très primitif. Ce qui allait devenir plus tard des autoroutes, n’était encore que des chemins vicinaux, piégés d’ornières, où les rares visiteurs ne s’éternisaient pas. Bien que des vitrines faisaient leur apparition, le choix des produits était très restrictif. Frein à l’expansion, la monnaie posait problème et, faute d’une unité conventionnelle propre au Webworld, on n’osait commercer sans retenue.
Cependant, la première boutique qui s’installa connut un franc succès car le Hameau s’était étoffé en peu de temps. On avait construit des habitations de plus en plus sophistiquées, avec des jardins peuplés de sculptures végétales et parfois même de vastes piscines. Le Hameau était devenu un Village. On commençait à s’organiser. Les quelques habitants qui peuplaient le Webworld avaient chacun une occupation définie, propre au bon fonctionnement du Village, condition sine qua non pour devenir membre de la communauté. Afin de concilier les différentes activités, la population se réunit pour désigner un chef, parmi ceux qui se proposèrent.
Jon.W s’émerveilla de cette soudaine animation. Au début, il déplora la seule présence d’êtres gigantesques qu’il soupçonna être d’autres parents privilégiés. Ils s’adressaient rarement à lui. D’ailleurs, il ne comprenait pas leur langage. Mais il remarqua néanmoins que leur arrivée soudaine produisit une petite révolution dans l’univers feutré et muet du Webworld. En effet, jusque-là, il fallait deviner que grin, lol ou plus trivialement rire, glissés au cœur d’une conversation animée, était la manifestation scripturale de la joie. De même il fallait deviner que l’utilisation intempestive de MAJUSCULES exprimait la COLERE ou, du moins, une élévation de la voix. Les interlocuteurs étant dépourvus de parole, ils conversaient par le biais de l’écriture. Ceci pénalisait considérablement les néophytes qui, à l’instar de Jon.W, n’étaient ni lecteurs, ni écrivains, ni polyglottes.
L’arrivée des pionniers suscita un véritable bouleversement. Ainsi, même si le nouveau procédé de communication demeurait aléatoire -en raison d’un manque de synchronisation entre le mouvement des lèvres et la parole qui devait l’accompagner- il permit à Jon.W de visualiser les humeurs, puis de s’adonner à l’activité favorite de tout chérubin normalement constitué : le mimétisme.
Fort heureusement l’ensemble des parents privilégiés présents dans le Webworld, eut la vivacité d’esprit de remarquer un beau jour sa présence et, surtout, de songer à enrichir la communauté d’êtres proportionnés à sa taille et à son entendement. Il put ainsi retrouver d’autres enfants dans la rue, des bambins magnifiques, à son image, presque parfaits dans leur conception, mais malgré tout si identiques les uns aux autres.