COMMENT PONDRE UN BEST-SELLER...

...SANS VENDRE UN SEUL LIVRE

    Etre assuré de vendre sa production littéraire et de vivre de son métier d'écrivain est le rêve de tout chatouilleur de plume. A défaut, bien des auteurs se contenteraient d'un millier d'exemplaires vendus, voire d'une centaine, qui suffiraient à leur bonheur. Il est pourtant possible de faire fortune dans l'univers de l'édition, sans bouger le petit doigt, sans vendre un seul livre, ou plutôt sans promouvoir un seul livre. Le secret ?

IL SUFFIT DE PIOCHER DANS LES FONDS PUBLICS

    Entre les bibliothèques et médiathèques municipales, les bibliothèques départementales de prêt (qui desservent 30000 communes), les bibliothèques d'associations, les bibliothèques d'entreprises, les bibliothèques d'enseignement supérieur, les bibliothèques publiques d'information, et dans les pays étrangers, les établissements d'enseignement, les centres et instituts culturels, les Alliances Françaises, les instituts de recherches et les médiathèques, on pouvait décompter avant 2008 plus de 172 000 officines susceptibles d'acquérir un livre sur des fonds publics. En 2008 car les statistiques disponibles sur internet semblent confidentielles, il est difficile de trouver des chiffres récents, et on peut supposer que ce décompte est largement inférieur à la réalité.

    Ainsi, n'importe quel écrivain qui publie un livre peut devenir l'auteur d'un best-seller vendu (disons acheté) à 170 000 exemplaires, sans rencontrer un seul lecteur, sans un article de presse, sans une interview, sans une séance de dédicace, sans même passer par un libraire, bref, les mains dans les poches. Devenir auteur d'un best-seller artificiel.

N'IMPORTE QUEL ECRIVAIN

    Non. Ce serait trop simple. Comme pour toute chose publique, les choix sont faits par des décideurs eux-mêmes publics. Sur quel critères ? Impartialement culturels ? L'extraordinaire intérêt du livre ? Le talent fou de l'auteur ? Qui juge de ce que le lecteur potentiel aimera, ou devra aimer, surtout si le lecteur potentiel n'a pas le choix ou un choix imposé ? On sait depuis longtemps que les 30 plus gros éditeurs de France accaparent 90 % du chiffre d'affaire global de la vente des livres. Et le restant, soit environ 3500 éditeurs, se disputent les reliquats de la galette. On devine que le placement dans les officines publiques est réparti dans les mêmes proportions. Pour preuve les statistiques du prêt en bibliothèques.

REMUNERATION AU PROFIT DE L'AUTEUR ET DE L'EDITEUR

    En vertu de l’article L.133-1 du Code de la propriété intellectuelle "lorsqu’une œuvre a fait l’objet d’un contrat d’édition en vue de sa publication et de sa diffusion sous forme de livre, l’auteur ne peut s’opposer au prêt d’exemplaires de cette édition par une bibliothèque accueillant du public. (..) Ce prêt ouvre droit à rémunération au profit de l’auteur".

    Autrement dit, sur chaque livre emprunté par un lecteur, l'auteur mais aussi l'éditeur touchent un pécule. Rémunérer les auteurs sur les livres emprunter était une sage initiative qui aurait pu permettre a bien des auteurs, et des éditeurs, d'arrondir les fins de mois. Hélas! sur ce plan aussi les chiffres sont édifiants (malgré l'absence de mise à jour récente officialisée). Comme l'indique La Sofia, organisme en charge de la collecte de ces fonds :

    "Le total des éditeurs bénéficiaires est pour la répartition 2003-2004 de 1489 éditeurs. Sur ce nombre d’éditeurs, seuls 16 d’entre eux percevront une rémunération propre (part éditeur) supérieure à 100.000 € (en fait, de 108.692 € à 507.260 €). Pour la part auteurs, sur les 11.241 auteurs bénéficiaires de la première répartition, 351 percevront individuellement entre 1000 et 10.781 €, 2010 autres se voyant attribuer une somme comprise entre 150 € et 999 €." On imagine la manne considérable qui peut entrer dans l'escarcelle des heureux bénéficiaires dont le placement des livres est effectué sur les fonds publics. Non seulement, ils ont la garantie d'achat de leurs oeuvres, mais de surcroît ils sont rémunérés au nombre de lecteurs.

PARTAGE DE LA GALETTE PUBLIQUE

    En bons rêveurs, on pourrait considérer un juste partage de la galette publique, garantissant à chaque auteur la vente de 100 exemplaires minimum via ce procédé, ce qui permettrait aux éditeurs audacieux de mieux vivre (et aux auteurs débutants de trouver plus facilement un lectorat). Car il est bien connu que ce sont les petits et les moyens éditeurs qui tonifient l'univers du livre en prenant les risques maximum pour un profit minimum, alors que les écuries de la grande édition se contentent de récupérer leurs étalons fougueux pour en faire de vieilles rossinantes.

OU VONT CES LIVRES QUI INONDENT LES PLATEAUX TELE

    Alors ? Que deviennent tous ces livres qui inondent les plateaux télé ? A qui profitent ces guides qui nous infligent des conseils en bien-être en bien-vivre en bien-penser alors qu'une telle littérature pullule gratuitement sur internet ? Où s'en vont ces autobiographies creuses d'artistes ou de leurs majestés en tous genres, ces recettes d'économistes pisse-froid ou de politiciens claironnant un monde meilleur pour-qui ? Que deviennent ces bouquins appuyés par des présentateurs obséquieux qui n'en ont pas même ouvert une page : « Je me suis régalé avec votre livre qui promet d'être un véritable succès. Son titre...euh… »

    Entre livres imprimés, livres diffusés et livres effectivement vendus, le mystère du best-seller artificiel s'éclaircit. Mais si on retire à certains ce privilège du placement automatique dans les officines publics, on constate aisément que le nombre de leurs livres ayant rencontré un public consentant et ayant abouti à une vente effective dépasse guère 50 exemplaires pour bon nombre d'entre eux, malgré des chiffres mirobolants souvent donnés en pâture à la presse. Voilà qui confortera tous les auteurs qui, faute d'accès aux médias et à une diffusion digne de ce nom, galèrent à vendre leurs livres et se demandent comment on peut vivre de sa plume, voire s'enrichir de sa plume. De fait, faut-il concevoir un Nième organe public, chargé de répartir les livres de manière objective et impartiale? Utopie. Car jamais on ne pourra réunir autour d'une table un cénacle de spécialistes littéraires sans que des intérêts peu avouables ne parasitent leur noble dessein. Alors, pourquoi ne pas jouer cette répartition à la loterie...

QUI GAGNERA LE JACKPOT

     On sait maintenant que le best-seller artificiel est un jackpot. A l'ère de la télé-réalité, des jeux de toutes sortes et des réseaux sociaux, on pourrait imaginer mettre ce jackpot entre les mains du hasard, par le biais d'une loterie. Une loterie où tous les auteurs pourraient participer, qu'ils soient édités traditionnellement ou auto-édités. On pourrait imaginer qu'un certain nombre d'entre eux soient tirés au sort, 10 auteurs gagnants par exemple, qui connaîtraient soudainement fortune... et gloire médiatique car les médias seraient forcément informés par les réseaux sociaux.

Le Portail du Livre étant très consulté, gageons qu'une âme charitable s'emparera un jour de cette idée !!!