Urgence littéraire
Lettre ouverte au Ministère de la Culture


  Le palmarès des best-sellers Amazon révèle que parmi les 100 romans ayant connu le plus gros succès, une majorité a été conçue par l'IA générative. Des ouvrages au contenu désespérément médiocre, sans intérêt narratif, sans audace, sans originalité, au titre farfelu, élaborés par des auteurs qui n'existent pas ou des supposés auteurs qui battent breloque... confondant médaille et breloque.

Comment en est-on arrivé là ?

     ...à ce que la littérature soit rabaissée au rang de blague de potache, à ce que n'importe quel ignorant se croit soudain investi d'un grand génie littéraire, ou à ce que certains cherchent à orienter les esprits vers une forme de pensée formatée en inondant le marché de clones littéraires ? Les plagiats produits par l'Intelligence Artificielle ne sont ni plus ni moins que de pâles copies, comme par exemple bon nombre de  « guides pratiques » réalisés en un laps de temps très court et qui ne requièrent aucun effort. Mais de surcroît leur promotion est assurée par une armada de robots ou d'influenceurs (euses) rémunérés au rabais, qui bombardent les réseaux sociaux de faux avis et de commentaires flatteurs. Il en est ainsi notamment des romances dont pâtissent en premier lieu les jeunes lecteurs.

Submersion

     Amazon invite les auteurs de sa plateforme KDP à mentionner si leur ouvrage est le fruit d'une Intelligence Artificielle (qui oserait l'avouer !!!) et annonce que chaque auteur sera « limité » à  la publication de 3 livres par jour. Trois livres par jour, cela représente 90 livres par mois et 1080 livres par an... et par auteur. (Quel auteur « de la réalité » peut se prévaloir de produire plus de 1000 titres par an  alors que la publication d'un livre nécessite à elle seule parfois une année de travail ?)
     Les plateformes qui privilégient la quantité à la qualité ont tout intérêt à ce que des écrits-bidons engendrés par IA pullulent : 1000 exemplaires par an et par plagiaire, multiplié par des milliers de plagiaires qui achèteront pour eux-mêmes ne serait-ce qu'un seul exemplaire de leur production, c'est la promesse d'un marché lucratif pour la plateforme.

Pour contrer les ravages de l'IA

     On imagine les dégâts causés par cette submersion sur toute la filière du livre si aucune mesure n'est prise pour contrer les travers d'une l'IA utilisée à mauvais escient. Afin de stopper le fléau, il devient urgent de réunir autour d'une table, au sein du ministère de la culture, tous les acteurs du livre impactés et parmi eux :
. Les éditeurs à compte d'éditeur dont la pérennité risque fort d'être mise en péril.
. Les librairies et les bibliothèques inondées d'ouvrages, où peu à peu le plagiat balaiera les œuvres légitimes
. La BNF engloutie sous une multitude de livres à enregistrer.
. Les diffuseurs exposés à des refus de points de vente devant la prolifération des publications.
. Les auteurs authentiques soumis à une concurrence déloyale et à une recrudescence de plagiats.
. Les plateformes proposant des abonnements en lecture illimitée, dont les lecteurs se détourneront par perte d'intérêt. 
     On doit y associer la CNL, le SNE, les instances en charge des intérêts des auteurs, les académies littéraires... bref tous les acteurs du livre.

Se réunir afin de réfléchir sur quelques pistes...

     ...dont on peut tracer les contours  :

. Comment lister les auteurs légitimes et permettre à tous les lecteurs de vérifier leur authenticité.
. S'agissant d’œuvres plagiées au moyen de l'IA, comment localiser une IP ou une IP attachée à un VPN derrière laquelle se dissimule une falsification.
. Comment exclure du droit d'auteur et de la TVA à 5,5 % les productions conçues au moyen de l'IA.
. Est-ce possible de confier à une instance comme la BNF le soin de vérifier l'authenticité d'un livre et de son auteur avant d'en accepter le dépôt légal ou de l'inscrire dans ses catalogues.
. Faut-il certifier par une empreinte légale ou un label l'authenticité toutes les œuvres publiées avant l'apparition de ChatGPT.
. Quelles seraient les modalités pour l'octroi de ce label aux œuvres post-IA ? Faut-il envisager la gratuité de ce label pour ne pas pénaliser les auteurs auto-édités en leur imposant une nouvelle charge alors que leurs recettes sont quasi-inexistantes ?
. Hors édition traditionnelle, faut-il mettre en place une charte éditoriale dont une des clauses majeures serait la vérification de la réalité humaine de l'auteur et de l'authenticité de l’œuvre. 
. Faut-il mentionner sur une plateforme apparentée au ministère de la culture les éditeurs « labellisés », ceux qui, au préalable, vérifient humainement les livres qu'ils publient.
     L'apparition du numérique, notamment de l'impression à la demande, a certes bouleversé l'univers éditorial et permis l’émergence de nouveaux auteurs. Mais qui aurait songé que l'avènement de l'IA pourrait aboutir à une prolifération de fausses publications et à terme à l'écroulement de la littérature.

     Avec 11 milliards dévolus à la culture, on peut espérer qu'il soit possible de stopper le fléau et de le stopper d'urgence.


A.J.Elorn. 10/01/2024