Louis pouzin : Dire qu'internet aurait pu être français....
Internet aurait pu être une invention française et s'appeler Mitranet. Mais voilà : nul n'est prophète en son pays, notamment un pays où les monstres sacrés passent sous les fourches caudines de sacrés monstres. En 1973, un bourguignon nommé Louis Pouzin invente le concept du datagramme, à l'origine du protocole TCP/IP qui a permis le lancement d'internet. Il le développe à travers le réseau Cyclades, concurrent d'Arpanet (l’ancêtre d’internet) aux USA. Devenu opérationnel en 1975, le concept a permis de tester une interconnection de 25 ordinateurs basés en France, à Londres et à Rome. Ces travaux intéresseront particulièrement les Américains Vinton Cerf et Bob Kahn, réalisant tout le potentiel des recherches de Louis Pouzin et de son équipe, avec qui ils collaborent étroitement.
En 1978, pour des rivalités d'intérêts financiers qui opposent les télécoms au numérique, le gouvernement Français préférera développer le protocole transpac à l'origine du minitel dont on connaît la finalité. Confisquant les subventions et tous moyens de fonctionnement au monstre sacré, de sacrés monstres offriront au projet Cyclades un enterrement de première classe, couronné de la belle épitaphe dévolue à ceux que la bêtise veut plonger dans l'oubli : « Louis Pouzin ? C'est qui ça ? ».
La même année, Vinton Cerf et Bob Kahn, œuvrant à la refonte d'Arpanet à l’université Stanford, s'inspireront des travaux de Louis Pouzin et de son équipe pour lancer le protocole TCP/IP. Et par la même occasion l'internet d'aujourd'hui. Ainsi, les défuntes Cyclades légueront aux USA l'héritage intégral d'internet et le contrôle de sa gestion (ex : les noms de domaine sont gérés exclusivement par l'ICANN). Ne restera que la liberté d'utiliser le réseau, âprement défendue par Tim Berners-Lee.
Les Cyclades inhumées, Louis Pouzin poursuivra sa carrière en direction d'autres projets pilotes. Mais si l'inventeur est honoré dans bien des pays étrangers dont les États-Unis où ses travaux sont largement reconnus, en France il tombera délibérément dans les oubliettes pendant près de 30 ans. Et pour cause, les sacrés monstres mettront longtemps à digérer le ridicule d'avoir raté l'innovation du siècle et l'opportunité que l'hexagone soit pionnier de l'internet.
Ce n'est qu'en 2003 que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, en la personne de Claudie Haigneré, s'aventurera à lui remettre la Légion d'honneur, déclarant non sans humour :
« Je vois dans cette cérémonie qui nous réunit ce soir, outre la reconnaissance naturelle que la France doit à ses chercheurs et ingénieurs d'exception, un double symbole. D'abord le symbole d'une recherche telle que je l'appelle de mes vœux : mobile, réactive, originale, sobre et efficace. Ensuite, le symbole d'une France en mouvement, d'une France en avance. »
Plus prestigieuse sera la reconnaissance de la couronne britannique et la récompense décernée en 2013 à Louis Pouzin en même temps qu’à Vinton Cerf, Bob Kahn, Tim Berners Lee et Marc Andreessen, le Queen Elizabeth Prize for Engineering, comparable au Prix Nobel dans le domaine de l'ingénierie.
Internationalement reconnu, le monstre sacré recevra également en 2001 le prix IEEE Internet pour l'invention du datagramme, en 2015 les Lovie Awards pour avoir « posé la pierre de base la plus importante dans la création d’internet » et en 2016, le Prix de l'homme numérique de l'année décerné par l'Arménie qui a adopté l’internet de nouvelle génération RINA .
En 2018, Chantal Lebrument et Fabien Soyez, tous deux passionnés d'internet, ont consacré une biographie exhaustive et illustrée à notre héro, intitulée Louis Pouzin - l'un des Pères de l'Internet et relatant sa carrière, ses travaux, ses projets.
Nombreux sont aujourd'hui les sites qui s'intéressent aux travaux passés ou présents de notre monstre sacré. Mais on s'attardera plus particulièrement sur le site Rina, un projet pour l'internet nouvelle génération qui détaille le projet RINA (Recursive Internetwork Architecture) protocole de communication plus simple, plus rapide et plus sécurisé que les protocoles utilisés sur Internet.
Sur le site, on pourra lire : À la question de savoir quelles seraient les solutions pour remédier aux dérives actuelles du web, Louis Pouzin répond « qu’il faudrait tout simplement un nouvel internet, qui permette d’offrir des services sécurisés, un Internet basé sur les besoins des gens, à l’abri des monopoles internationaux et des fake news. C’est l’idée du projet RINA, lancé par l’américain John Day, auquel je collabore. Malheureusement, la France est en bas de la liste des pays intéressés par RINA ».
Désespérant...